Esther Calixte-Béa | Résidence Instagram
Nous poursuivons notre série virtuelle de résidences Instagram avec l’artiste multidisciplinaire d’origine ivoirienne et haïtienne Esther Calixte-Béa, née à Longueil, aujourd’hui basée à Montréal.
Soyez des nôtres toute la semaine prochaine pour découvrir ses œuvres les plus récentes, et sa critique des standards de beauté eurocentriques en adressant entre autres le tabou de la pilosité féminine et la question de l’identité par la création d’une tribu fictive nommée Fyète Soujou-te.
Human Touch est une série de résidences Instagram qui invite des artistes émergents à ponctuer notre fil d’actualité de leur propre production artistique, de leurs questionnements et de contenu qui inspirent leur créativité.
Pour voir le site internet d’Esther.
Restez à l’affût !
Suivez la résidence d’@artist_esie sur notre page Instagram.
Jour 1 – lundi 14 novembre 2022
Cette semaine, nous vous avons le plaisir de vous présenter l’artiste d’origine ivoirienne et haïtienne Esther Calixte-Béa, née à Longueuil, aujourd’hui basée à Montréal.
Par le biais de sa pratique multidisciplinaire, Esther critique les standards de beauté eurocentriques en adressant le tabou de la pilosité féminine. Elle est d’ailleurs une activiste de la pilosité féminine connue sous le nom de « Queen Esie. » Esther aborde la question de l’identité par la représentation dans ses œuvres de figures féminines noires, issues d’une tribu fictive nommée Fyète Souhou-te, ainsi que la question de vulnérabilité en créant un espace pour la guérison. Elle construit un monde imaginaire et transpose ses réflexions au travers d’oeuvres picturales, photographiques, textiles et de poésie.
La créativité était encouragée dans ma famille et, en tant qu’enfant timide, je ne faisais que créer. J’ai grandi en regardant des comédies musicales : The Sound of Music, Annie et tous les films de princesses de Disney. J’écrivais des chansons avec ma soeur, que nous chantions dans notre chambre. J’écrivais brouillon après brouillon. Je remplissais aussi mes carnets de croquis en dessinant des dessins animés, des monstres et des filles magiques. Avec le temps, j’ai commencé à remplir mes carnets d’histoires et j’ai écrit sur l’amour. Mon véritable amour n’a été découvert que lorsque j’ai pris un pinceau à l’école secondaire. Mais en grandissant, l’enfant que j’étais a lentement commencé à s’effacer.
Avance rapide, jusqu’en 2020, je regardais mon téléphone lorsque je suis tombé sur les oeuvres créées dans mes “humbles débuts,” j’ai alors pensé : “Hé ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?” Je ne sortais plus des sentiers battus ; j’étais vide et drainée. J’étais perdue. Sur le plan émotionnel, je me sentais piégée dans un cube blanc et le stress de la pandémie n’a fait qu’empirer les choses. Un jour, je m’occupais de mes cousins de 4 et 5 ans et ils ont partagé avec moi leurs dessins. Celui de 4 ans avait dessiné des Timbits avec des bras et des jambes et RIAIT à chaque dessin qu’il faisait. Il y avait tellement de joie et d’amusement dans sa façon de créer. Il ne se prenait pas trop au sérieux et dessinait ce qu’il avait envie de dessiner. Il était libre. Celui de 5 ans attendait que je juge son travail avec un visage impassible. Il avait peur de ce que j’allais dire. Et c’est là que j’ai réalisé … « mon problème. »
Jour 2 – mardi 15 novembre 2022
Créer un monde imaginaire (partie 1)
Pour comprendre ce dont je vais vous parler, il faut d’abord comprendre qui je SUIS. Je suis une femme haïtienne et ivoirienne “poilue”, dont les poils corporels ont été un sujet partagé sur internet. C’est en 2019, que je me suis qualifiée d’activiste de la pilosité féminine sous le pseudonyme @queen_esie par le biais du Lavender Project. Un activiste des poils corporels vise à normaliser les poils féminins en supprimant la honte associée par la création de contenu et/ou l’éducation du public autour de ce tabou. C’est ainsi que j’ai commencé à photographier et à partager les poils de ma poitrine sur Instagram en portant une robe que j’ai fabriquée, le tout accompagné de poèmes et de textes. Mon intention était de défier le tabou et parler de la féminité en symbiose avec les poils du corps. Quelques mois plus tard, ma tante ivoirienne m’a contacté pour me partager le fait que les femmes de notre famille sont très poilues et que, dans notre tribu, Wè, c’était un attribut de beauté. Forte de ces connaissances, j’ai commencé à vouloir combiner mon militantisme à mon art, d’une manière qui pouvait faire du sens pour moi.
Créer un monde imaginaire (partie 2)
J’ai décidé que je pouvais créer un monde et une communauté auxquels je pouvais ressentir un sentiment d’appartenance, un monde où les poils sont portés avec fierté. Un monde inspiré de mes origines, où la communauté est importante et où l’entraide fait partie des moeurs. J’ai donné un sens aux choses, par l’utilisation de mots créoles haïtien et guéré (un dialecte ivoirien), tout en transformant des mots et créant de nouvelles significations. J’ai inventé des traditions et des histoires d’origine. J’ai créé un symbole illustrant parfaitement mes sentiments de limitation, de lutte, de pouvoir et c’est ainsi que j’ai créé la tribu “Fyète Souhou-te”. J’ai juxtaposé les mots “Fierté” en créole haïtien et “Divin” en guéré, faisant par le fait même référence à mon nom de famille qui est à la fois haïtien et ivoirien. Les femmes de cette tribu inventée s’appelaient “fyète” ou “kéa-nin”. Kéa-nin signifie divinité en guéré. Elles étaient des guerrières et des gardiennes du savoir. La cheffe ou dirigeante s’appelait ‘Fyète Souhou-teî’.
Créer un monde imaginaire (partie 3)
« La tribu s’appelait à l’origine Tcheybê-Zouhou et a ensuite été changée en Fyète Souhou-te au fil du temps à mesure que la tribu grandissait. Selon le mythe, le changement de nom était la cause de la naissance d’un bébé poilu. On dit qu’une femme venant des Caraïbes a accidentellement trouvé l’île et la tribu lors d’un voyage. Elle était enceinte et a donné naissance à un garçon. Elle est décédée après avoir accouché, ce qui a amené la tribu à élever l’enfant. Il a grandi et a épousé une Kéa-nin (pieuse) donnant naissance à une fille poilue. (…) Les femmes de la tribu étaient connues pour être très poilues à travers le pays, néanmoins elles étaient choquées par la pilosité de l’enfant, car c’était le premier bébé né poilu de la tribu. Ces poils trouvés sur les bébés à la naissance sont connus aujourd’hui sous le nom de “Lanugo” ».
– extrait du pamphlet de l’exposition solo de Création d’un monde éthéré à la @lacentralegaleriepowerhouse en 2021.
Jour 3 – mercredi 16 novembre 2022
Trouver une représentation dans l’imaginaire (partie 1)
En tant que femme et en tant que femme noire, la représentation est très importante. En tant que femme, je pense au mouvement de positivité corporelle, à l’importance de voir différents types de corps dans les médias. Lorsque la société ne montre qu’un seul type de corps, elle nous souligne l’obligation de nous y conformer, que ce soit inaccessible ou non. Toute autre option devient alors tout simplement inacceptable et indésirable. En tant que femme noire, lorsque la société ne montre délibérément pas de personnes qui me ressemblent, elle me dit que je ne compte pas, voire que je n’existe pas. Est-ce que créer un monde et une tribu est une question de représentation ? Oui ! Mais c’est aussi une question de guérison. Sur le pouvoir individuel, en tant qu’artiste qui est de CRÉER ! J’ai donc créé des personnages qui m’aident à mieux comprendre ma relation avec la beauté, le sentiment d’être seule et impuissante, ainsi que l’ESPOIR.
Trouver une représentation dans l’imaginaire (partie 2)
Espoir ? Oui, l’espoir. Par exemple, Black Panther de Marvel représente l’espoir dans un bassin de films qui portent sur l’esclavage et le trauma p*rn qui circulent sur internet. Une bouffée d’air frais ! La force, le pouvoir, la fierté et tant d’espoir ont été trouvés dans ce film. Nous (les noirs) avons pu nous imaginer, qui nous aurions pu être ou qui nous étions avant la colonisation. En créant “Fyète Souhou-te”, j’ai regardé ma vie, mon environnement et j’ai vu que je pouvais créer un espace sûr où les femmes pourraient se sentir libres de leur pilosité, sans être jugées, sans avoir honte et sans être obligées de se conformer à une idée artificielle de la perfection. Grâce à ce monde, j’ai la LIBERTÉ de créer n’importe quoi.
Trouver une représentation dans l’imaginaire (partie 3)
J’ai pensé à mes ancêtres. J’ai pensé à décoloniser la beauté. J’ai pensé aux cheveux dans la culture africaine. Créer une tribu de femmes poilues me permettait de créer une FIERTÉ inspirée de ma culture. Les cheveux ont toujours été importants, puisqu’ils signifiaient l’état civil ou la tribu à laquelle vous apparteniez, ils étaient votre identité. Dans les documentaires, les tribus sont présentées comme un monolithe. Afin d’illustrer l’individualité de chaque personnage au-delà de sa tribu, j’ai fait en sorte que leurs vêtements, leurs coiffures et leurs bijoux soient uniques. Je voulais que chaque personnage soit créatif.
Jour 4 – jeudi 17 novembre 2022
Donner vie à un univers imaginaire (partie 1)
J’ai écrit les origines de la tribu et je les ai présentées l’année dernière dans mon exposition solo Création d’un monde éthéré à @lacentralegaleriepowerhouse. J’ai réussi à convaincre les gens que cette communauté est réelle. Ils vivent sur une île appelée Té sous la Côte d’Ivoire avec des paysages similaires à ceux que l’on trouve au Canada. La galerie a été transformée et je voulais que les gens se sentent comme s’ils avaient été transportés dans un nouveau monde. Où la beauté était remise en question, où les poils du corps n’étaient pas honteux, où la créativité était encouragée et où la culture était partagée. Le sol a été recouvert de gazon artificiel et les symboles de la tribu étaient exposés sur des murs peints en bleu. Le chef a été présenté à Art Mûr pour représenter cette communauté. J’avais fabriqué une perruque, des accessoires, un vêtement et je me suis photographiée en train de les porter tout en montrant mes propres poils corporels, illustrant donc la force et la fierté du Fyète Souhou-teî (chef). Il y avait également une vidéo de moi jouant un personnage redécouvrant mes origines.
Devenir chef
« Le chef connue sous le nom de Fyète Souhou-teî est la femme la plus poilue de la tribu. Un chef peut également être choisi dans un concours basé sur la créativité des participantes. Dans ce concours, chaque membre doit créer le design le plus artistique avec ses poils pubiens, impressionner les membres de la tribu, être choisi par vote puis être oint à travers un rituel effectué près d’une rivière ou d’un ruisseau. Le fait de verser de l’eau sur la chef et son bâton est un signe de purification et d’unité avec la Terre »
– extrait du pamphlet de l’exposition solo de Création d’un monde éthéré à la @lacentralegaleriepowerhouse en 2021.
Donner vie à un univers imaginaire (partie 2)
« La tribu Fyète Souhou-teî honore la pilosité féminine et la célèbre à travers ses différentes pratiques artistiques et ses rituels. Les poils du corps sont un symbole de maturité et de fertilité. Ils sont considérés comme sacrés et essentiels à l’identité féminine. Les rituels incluent le tressage des poils pubiens, qui met en valeur le style, la personnalité et la créativité de chacun. Coiffer les cheveux sur la tête et même les poils du visage est également important dans les rituels et la vie quotidienne. Leurs coiffures, vêtements et couleurs racontent une histoire et sont un moyen d’exprimer leur individualité parmi les membres de la tribu. »
– extrait du pamphlet de l’exposition solo de Création d’un monde éthéré à la @lacentralegaleriepowerhouse en 2021.
Jour 5 – vendredi 17 novembre 2022
La tribu dans le futur
Et maintenant ? Au début de l’année, je suis allée en France, en Belgique, en Autriche et, puis cet été, je suis allée en Côte d’Ivoire. J’ai été inspirée par tant d’artistes ! Actuellement, je travaille sur de nouvelles peintures dans lesquelles je peux intégrer davantage la tribu Fyète Souhou-teî dans notre monde. Je crée avec du plâtre, je réfléchis à des idées et à ce que peut être une peinture. Je pense à la poésie, à l’écriture, à la mode, à mon prochain projet photographique et à beaucoup d’autres choses que je ne peux pas mettre en mots. Mais si vous êtes curieux et que vous voulez savoir ce qui m’attend, suivez @artist_esie. « On se voit à Té ! »